5

Bella rendit visite aux malades. Elle s’arrêta près du lit de Jim Chisholm pour discuter de l’accident avec lui mais le trouva endormi, écouteurs aux oreilles. Elle passa au compartiment voisin, où Svetlana terminait son plateau-repas.

— Alors, tu récupères ?

— À toute vitesse, répondit Svetlana d’un ton peu convaincant.

Elle avait la tête de quelqu’un qui venait de passer sa nuit à bachoter.

— Je tenais à te dire que le nettoyage se passe bien. Nous devrions reprendre notre voyage dans six ou sept heures au plus tard.

— D’après Parry, il va falloir renforcer les réservoirs.

— Ce n’est pas une mauvaise idée. Autant profiter de l’équipe qui travaille en bas…

— Ce serait même une bonne idée, si nous avions du temps devant nous.

Thomas Shen, le médecin de service, débarrassa la malade de son plateau. Bella découvrit le flexi dissimulé dessous, avec sa fenêtre bourrée de diagrammes et de graphiques techniques. Svetlana avait griffonné partout ses commentaires et ses calculs.

— Que veux-tu dire, Svieta ?

— Ce retard ne va-t-il pas rendre encore plus problématique notre rendez-vous avec Janus ?

— Notre séjour sera plus court, sans doute, mais si la mission était compromise, le QG nous aurait prévenus.

— Si tu le dis…

— Quelque chose te tracasse, Svieta ?

— Pourquoi tu me demandes ça ? s’exclama la jeune femme avec un regard soupçonneux. Tu crois que j’ai des raisons de me faire du souci ?

— C’est pour te distraire que tu consultais ces graphiques ?

Bella s’empara vivement du flexi étalé sur les genoux de son amie et le leva vers la lumière pour examiner ses données complexes et ses gribouillages.

— Tiens, tiens, des relevés de pression…

— J’ai voulu vérifier s’il n’y avait pas une fuite dans l’un des réservoirs de carburant.

— Et alors ?

— Ils ont très bien encaissé le choc, on dirait.

— Mais quelque chose te turlupine encore. Pas la peine de le nier, Svieta. Dis-moi ce que tu as en tête.

Bella tira une chaise et l’enfourcha à l’envers, bas croisés sur le dossier. Un long moment s’écoula. Thomas Shen revint tripoter l’un des moniteurs, et Bella se mordit la lèvre. Elle brûlait d’impatience.

Dès que Shen se fut éloigné, Svetlana se décida enfin à parler :

— C’est la pression dans les réservoirs.

Bella examina à nouveau les schémas sur le flexi.

— Tu veux dire qu’il y a une fuite ?

— Non, j’en suis sûre. C’est ce dont j’ai voulu m’assurer au départ.

— Alors c’est quoi, le problème ?

— Je n’en suis pas certaine… répondit la jeune femme d’un air tourmenté.

— Raconte.

— Quand la catapulte a cogné le vaisseau, on aurait dit la collision entre un paquebot et un iceberg.

— Oui, nous avons tous senti le choc.

— Mais où apparaît-il dans ces données ?

— Je ne te suis pas, là…

— Au moment de l’impact, la secousse aurait dû agiter le gaz dans tous les sens.

— Et ça n’est pas le cas ?

— Pas d’après ces relevés. C’est comme s’il ne s’était rien passé.

— Une seconde, dit Bella en se concentrant. Ces relevés de pression, comment sont-ils effectués ?

— Il y a des capteurs à l’intérieur des réservoirs.

— Combien y en a-t-il par réservoir ? Forcément plusieurs, j’imagine, par sécurité…

— Six.

— Placés en différents endroits ?

— Oui. Un en haut, un en bas, et quatre répartis au milieu…

— La voilà, ta réponse ! s’exclama Bella d’un ton qu’elle espérait modeste. Chacune de ces courbes résulte sûrement de la fusion des données recueillies par les six capteurs ! Je te parie que tout un tas de logiciels digèrent ces chiffres avant de les recracher, en supprimant au passage tous les relevés anormaux !

— J’y ai pensé aussi, mais en examinant le code source je n’ai rien trouvé qui filtre les pics de pression importants. D’ailleurs, filtrer ce genre de données serait une très mauvaise idée, parce qu’elles peuvent nous signaler de graves problèmes. Et si le réservoir s’était déréglé, avec tout ce gaz secoué ?

— D’accord, mais je crois quand même que je suis sur la bonne piste. Ces courbes reflètent-elles parfaitement la fréquence de prélèvement des échantillons dans les réservoirs ?

— Je crois, oui.

— Mais tu n’en es pas sûre à cent pour cent.

— Non, soupira Svetlana. Je peux vérifier un certain nombre de trucs en restant au lit, mais je n’ai pas accès à toutes les données concernant les réservoirs.

— Écoute, lui dit Bella sur un ton conciliant, si ça peut faire ton bonheur, nous n’avons qu’à consulter la Terre pour avoir un deuxième avis. Mais nous ne pourrons pas attendre leur réponse pour nous remettre en route.

— Ce qui me ferait vraiment plaisir, c’est de voir les données qui me manquent. Ou plus exactement, de comprendre pourquoi je n’ai rien vu.

— Tu auras ta réponse, lui assura Bella en se levant. Je vais immédiatement envoyer un message au QG. S’ils se bougent un peu, tu devrais avoir ta réponse dans moins de douze heures.

— Et si cette réponse ne me plaît pas ?

— Là, tu auras vraiment une raison de t’inquiéter. Et maintenant, repose-toi un peu, je t’en supplie ! Je te préviendrai dès que nous aurons des nouvelles. Et j’emporte ceci, si tu n’y vois pas d’inconvénient.

Bella serra le flexi contre sa poitrine. Svetlana voulut protester, mais son amie était déjà en route vers la sortie.

 

 

Mourir en combinaison spatiale, c’est toujours affreux, mais la fin de Mike Takahashi fut particulièrement atroce.

Parry sentit venir le coup. Le revêtement métallique du réservoir vibra, puis vibra encore, et encore, de plus en plus fort à chaque fois, et quelque chose leur tomba dessus, sans doute un débris négligé pendant l’évacuation des décombres.

Trois d’entre eux – Parry, Frida Wolinsky et Takahashi – appliquaient consciencieusement la roche pulvérisée. Debout sur le flanc de l’un des réservoirs, collés à la paroi par leurs semelles, le sommet de leurs casques frôlant l’armature de l’axe, ils étaient tournés vers le bouclier, dix mètres plus bas. Des câbles les reliaient à l’équipe qui travaillait en haut des réservoirs. Le Rockhopper subissait à nouveau une poussée d’un demi-g, et la gravité artificielle facilitait l’opération de dépose des couches du composé binaire avant qu’elles ne fusionnent.

Parry sentit soudain les poils de sa nuque se hérisser. Il avait compris d’instinct qu’un danger les menaçait, mais son casque lui bouchait la vue, et les fixations l’empêchèrent de se retourner. Deux secondes venaient de s’écouler.

Il tendit la main pour couper le jet de poudre, mais ce geste lui prit un temps infini. Il venait de prononcer le « S… » de « Stoppez les pulvérisations » lorsqu’il vit l’ombre d’un mouvement se refléter sur sa visière.

Mike Takahashi n’était plus là.

Il avait été arraché du flanc du réservoir. Avec une inéluctabilité malveillante, le débris avait emporté Mike, soit en le heurtant, soit en rompant son câble de sécurité dans sa chute. L’adhéflex était résistant, mais les attaches avaient été conçues pour céder avant les coutures des combinaisons pressurisées.

Parry parvint enfin à fermer sa lance et le jet de poudre s’interrompit brutalement. Puis, le cœur lourd, il suivit du regard la trajectoire de la chute. Il comprit immédiatement ce qui s’était passé. L’objet – une pièce d’équipement méconnaissable, de la taille d’un ballon de plage – avait entraîné Takahashi avant de s’enfoncer à moitié dans la poudre de roche durcie. Et à côté de lui, il y avait Mike Takahashi, bras écartés comme au moment de l’impact.

Pendant sa chute, il avait fait un demi-tour sur lui-même et maintenant, il fixait Parry et Wolinsky, le visage tourné vers le haut. Sa tête, ses épaules et le haut de son torse émergeaient du revêtement, mais le reste de son corps était enfoui sous la surface gris-bleu, à l’exception d’un genou et de la pointe d’une chaussure.

Takahashi était vivant, et encore conscient… Parry l’entendait gémir. Ni le débris ni la chute ne l’avait tué. La couche de roche pulvérisée lui avait probablement sauvé la vie en amortissant sa réception. Sans elle, Takahashi se serait écrasé sur le blindage du bouclier.

Parry lâcha sa lance. Tout le monde parlait en même temps sur le canal général. Il s’était passé quelque chose de grave, chacun l’avait compris, même en l’absence de caméras pour filmer l’homme à terre. Parry haussa le ton :

— Du calme, tout le monde ! Du calme ! Calmez-vous, nom de Dieu !

Quand ils se turent enfin, il s’obligea à parler d’un ton faussement serein :

— Hé, Mike… tu m’entends, mon pote ?

— Oui, souffla Takahashi, la respiration saccadée.

— Surtout, ne bouge pas. Garde ton calme, nous allons te sortir de là.

— OK.

— Comment tu te sens ?

La voix de Mike se raffermit :

— Ma jambe est dans un sale état. J’ai vachement mal.

Elle était cassée ou démise, probablement. Cela avait dû se produire quand Takahashi avait été emporté, ou quand il s’était écrasé au sol. Les jointures des Orlan-19 se prêtaient très bien à ce genre de blessure.

À nouveau, Parry s’efforça d’éviter toute note d’angoisse dans sa voix :

— Nous allons nous occuper de cette douleur, Mike, mais en attendant, écoute-moi bien.

— D’accord, je t’écoute, gémit le blessé.

— Tu es tombé dans de la poudre de roche. Ta tête, tes bras et le haut de ton corps sont libres, mais le reste est pris dedans.

— Génial…

— Nous allons te sortir de là, je te le promets, ajouta aussitôt Parry. Mais tu vas devoir y mettre du tien. Tu dois rester calme, c’est très important. Comme ça, nous pourrons prendre notre temps pour te dégager. Compris ?

— Compris, dit Mike d’une voix où pointait déjà la panique.

— Je suis sérieux, Mike.

— Occupe-toi de ma jambe, et ensuite on discutera.

— Pour l’instant, je ne peux rien faire pour ta jambe, mais tu dois absolument conserver ton calme. Mets-toi de la musique, Mike. Un truc relaxant.

— Tu te fous de moi, Parry ?

— Pas du tout. Si tu ne la choisis pas toi-même, je vais m’en charger et je t’enverrai les morceaux depuis mon casque. Tu n’as jamais beaucoup aimé l’opéra, hein ?

— Bien joué, Parry.

— Je ne plaisante pas. Fais-le ou je m’en charge pour toi.

— Mais t’es complètement…

— Fais-le. Et pousse le son, pour nous en faire profiter. Si tu ne t’es pas décidé dans vingt secondes, je te balance du Puccini, que tu le veuilles ou non. Turandot, peut-être. Je crois savoir que tu adores « Nessun Dorma »…

— Tu es un vrai salaud, patron.

— Ça vient. Ça défile sous mes yeux. Public Enemy… ah, voilà, Puccini. T’es prêt, mon pote ? Ça va faire mal ! Ça va te déchirer les oreilles !

Takahashi ne fut pas assez rapide, ou peut-être le système audio de sa combinaison était-il foutu, mais Parry s’en moquait. Il était ravi de lui infliger du Puccini, même si Mike détestait sincèrement cette musique. Au moins, il serait forcé de penser à autre chose.

Parry appela Bella.

— Baisse ce boucan, je n’entends rien !

— Désolé, mais le boucan fait partie du plan, lui expliqua-t-il en forçant la voix pour couvrir celle de Luciano Pavarotti. Il faut arrêter le moteur, Bella. Mike n’a pas besoin d’un surcroît de pression sur sa jambe et nous ne pouvons pas prendre le risque qu’un autre débris nous tombe dessus !

— C’est comme si c’était fait, répliqua-t-elle après une hésitation quasi imperceptible.

Trente secondes plus tard, la tension des attaches se relâcha et Parry se retrouva en apesanteur.

— Quoi d’autre ?

— On va avoir besoin de monde, par ici, et de personnel médical.

— J’ai déjà prévenu Ryan.

Parry fit une rotation vers la gauche jusqu’à ce qu’il repère Frida Wolinsky en bordure de son champ de vision limité par la visière.

— Frida, peux-tu atteindre mon verrou de fixation, de là où tu te trouves ?

— Je crois, si les autres me laissent un peu de jeu.

Wolinsky se pencha vers lui et disparut de sa vue. Quand elle empoigna le câble de sécurité de Parry, ce dernier le sut grâce à la traction qui s’ensuivit. Il se pencha en arrière pour permettre à sa collègue d’ouvrir le fermoir à ressort.

— Détache-moi.

Pour la première fois de sa vie, Parry aurait préféré rester bien fixé, mais les câbles avaient presque atteint leur longueur limite. Il sentit Wolinsky lui taper dans le dos.

— Tu es libre, vieux frère. Sois prudent, là-bas.

Parry descendit enfin vers la couche de roche pulvérisée. Ils en avaient déjà posé un mètre et demi quand Takahashi était tombé. Depuis, le plus gros de cette couche avait eu le temps de durcir. Elle conserverait assez d’élasticité pour amortir la charge d’une catapulte, mais ça n’allait pas les aider à désincarcérer le blessé.

En posant les deux mains sur la roche pulvérisée, Parry constata avec soulagement que l’adhéflex s’en détachait facilement. Il y posa ensuite un genou, puis un pied, et il décolla son autre pied du réservoir balafré pour le planter sur la croûte. Il s’approcha à quatre pattes de l’homme piégé à partir de la taille et se redressa à genoux près de lui en conservant trois points de contact avec la croûte. Derrière le verre semi-réfléchissant de sa visière, les yeux écarquillés de Mike trahissaient sa terreur.

— Bon, allez, j’en ai ras le bol de Puccini, dit-il.

— Luciano et moi, on n’en a pas encore terminé, répliqua Parry en l’examinant.

Il avait enfin une idée très claire de la situation. C’était pire que ce qu’il avait craint.

L’équipement de survie de Mike était complètement enseveli. Impossible de recharger ses batteries, sauf s’ils trouvaient un moyen d’accéder à la partie arrière du sac. Dans l’immédiat, il y avait plus grave. Parry baissa Puccini d’un cran.

— Je suis avec Mike, Bella.

— Nous vous avons à l’écran. Alors, ton opinion ?

— D’après moi…

Il s’interrompit. Pas question de dire la vérité tant que Takahashi les écouterait.

— Mike est en un seul morceau. Il est conscient et lucide, mais nous allons devoir le stabiliser avant de le sortir de là.

— Que veux-tu dire ?

— Nous allons devoir dégager son équipement de survie.

— Reçu cinq sur cinq.

Au ton de Bella, à son imperceptible inflexion, Parry sut qu’elle avait compris. Enseveli sous la roche, l’équipement de survie ne pouvait plus évacuer sa chaleur. La combinaison devait déjà commencer à chauffer.

Mais pour l’instant, tout était calme. Ils pouvaient peut-être réussir, s’ils intervenaient rapidement.

— Bella, où en sont les renforts ?

— Trois de mes gars quittent le sas numéro 4. Ils apportent du matériel de secours et des outils de découpe.

— Et le toubib ?

— Ryan vient d’arriver dans le sas 5. Il sera dehors dans quelques minutes.

Parry se creusa les méninges pour tenter de se rappeler à quand remontait la dernière sortie de Ryan Axford en combinaison… C’était sûrement pendant le dernier entraînement collectif extravéhiculaire.

— Dis à Ryan de faire attention. J’ai l’impression qu’on va encore avoir besoin de lui, à l’avenir.

— Ryan connaît les consignes aussi bien que toi, Parry. Comment va notre patient ? Mike, si tu m’entends, parle-moi.

— Ça va. Ma tête va éclater.

Hypercapnie, se dit Parry. Il respirait trop vite, il haletait, et la pression du gaz carbonique présent dans son organisme allait très vite atteindre un niveau dangereux.

— Du calme, mon pote.

— Tu ne peux vraiment rien faire pour ma jambe ?

— Mike, reprit Bella, tu vas probablement devoir supporter cette douleur jusqu’à ce que nous t’ayons tiré de là. Si tu portais une combinaison souple, nous aurions pu t’injecter de la morphine, mais comme ce n’est pas le cas…

— Bella a raison, admit Parry. Mais tu es un sacré coriace et je sais que tu peux prendre sur toi.

— Si tu le dis, patron…

— Une jambe cassée, ça ne va pas te tuer, quand même ! Regarde le bon côté des choses : ça va peut-être t’éviter quelques sorties dangereuses quand nous aurons rejoint Janus !

— Mais j’aurai quand même droit à la prime, hein ?

— Mais oui ! Et à une indemnité au titre de tes blessures par-dessus le marché ! Et à une compensation pour trauma psychologique résultant d’une exposition prolongée à l’opéra italien !

Takahashi réussit à émettre un grognement approbateur :

— Je n’ai peut-être pas si mal, après tout.

Puis il prit un ton sinistre :

— Oh, attends une minute…

— Que se passe-t-il ?

— Un truc s’affiche sur ma visière…

— Dis-moi.

— Ça indique un problème. Le voyant de la régulation thermique est passé au rouge.

— Ton équipement de survie peine à évacuer la chaleur excédentaire, mais il nous reste encore pas mal de temps devant nous.

Ces mots lui étaient venus si facilement aux lèvres que Parry faillit y croire lui aussi. Alerté par une modification des jeux de lumière le long des réservoirs, il releva la tête. L’équipe de secours approchait, et les lampes de leurs casques se mirent à tressauter quand ils s’attaquèrent à quatre pattes à la dernière partie du trajet. Leurs équipements de secours jaune vif se détachaient sur leurs combinaisons.

— La cavalerie arrive, annonça Parry.

Le petit escadron atteignit le revêtement en train de durcir. Malgré la présence de Parry, les trois hommes tinrent à s’assurer eux aussi qu’ils ne risquaient rien en s’engageant dessus. Ils arrivèrent près de Parry, penché sur Takahashi à moitié enseveli. La visière de Parry lui donna les noms du trio : Chanticler, Herrick et Pagis. Les deux premiers, des plongeurs, appartenaient à son équipe de mineurs, et Pagis était l’un des ingénieurs de la propulsion sous les ordres de Svetlana. Avec des heures et des heures d’EVA au compteur, tous trois étaient habitués à travailler sous pression.

Ils vont être servis, se dit Parry.

— Vous voyez le problème ? leur lança-t-il.

Belinda Pagis était la plus pragmatique des trois, et Parry constata que sa mine s’allongeait. Elle n’aimait pas du tout ce qu’elle voyait.

— Ça se présente mal, dit-elle à voix basse, mais assez fort pour qu’on l’entende sur le canal général. Nous allons devoir…

— Qu’est-ce qui se présente mal ? la coupa Takahashi.

— Du calme, Mike. Détends-toi et…

À court d’idées, Parry laissa sa phrase en suspens.

— Nous devons absolument le sortir de là. Dans dix minutes, cette combinaison va le rôtir à vif…

— Mike nous écoute, les amis, intervint Parry.

— Désolée, Mike, s’excusa aussitôt Pagis. Je te croyais sur un autre canal…

— Comme tu le vois, ce n’est pas le cas, mais pas la peine de prendre des pincettes et de tourner autour du pot ! Je sais très bien que je suis dans la merde !

— Oui, et nous allons te sortir de là, et vite, asséna Parry, dégoulinant d’une confiance qu’il n’éprouvait pas. Mais tu dois nous aider, d’accord ? Continue à respirer doucement.

— Tu as peur que je m’asphyxie ? Même moi, je sais que je n’ai pas à me faire du souci pour ça ! J’ai dix heures de réserve dans cette combinaison !

— Ton problème, ce n’est pas l’air, mais les batteries de ton équipement de survie. En respirant vite, tu surmènes les pompes et les épurateurs. C’est cela que nous devons résoudre, et c’est pour cela que tu dois rester calme.

— Mais j’ai une jambe cassée, bon sang !

— Et tu t’en tires très bien.

Parry aurait pu étrangler Pagis. Jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche, il contrôlait la situation. Il jeta un coup d’œil à Chanticler et Herrick, occupés à sortir du matériel de leurs combinaisons, puis revint à Takahashi.

— Nous allons commencer à creuser. Tu veux sortir de là aussi vite que possible, je le sais, mais pour ça, il n’y a qu’un moyen. Nous devons absolument dégager ton équipement de survie, autrement dit creuser sous toi.

Takahashi garda le silence. Parry osa espérer qu’il avait réussi à le convaincre, et il fit signe à Herrick de lui passer l’un des outils. Cette truelle à lame diamantée serait-elle assez dure pour entamer le revêtement qui se solidifiait rapidement ? Takahashi reprit à nouveau la parole, avec un détachement désarmant :

— Un autre voyant est au rouge. Je crois qu’une pompe vient de lâcher.

— On creuse, répondit Parry en enfonçant la truelle dans la croûte bleu-gris.

— Il commence à faire drôlement chaud là-dedans…

Chanticler et Pagis s’étaient eux aussi mis au travail avec des outils plus larges que celui de Parry. Ils se concentrèrent sur leur tâche pendant ce qui leur parut à tous quelques longues minutes. Leurs lames s’enfoncèrent dans la croûte sur quelques centimètres, et ils se retrouvèrent bientôt avec des petits tas de gravats gros comme le poing. Parry se prit au jeu ; ils allaient s’en sortir, ils allaient sauver leur collègue ! Ils travaillaient doucement, régulièrement, en dégageant petit à petit le haut de l’équipement. Tout d’un coup, le travail devint nettement plus difficile. Ils avaient creusé avec une relative aisance un trou d’un mètre carré sur cinq centimètres de profondeur, mais leurs outils rencontrèrent soudain une résistance plus grande, comme s’ils étaient passés de l’argile au granit.

Il leur fallut dix minutes pour venir à bout du centimètre suivant avec des lames qui commençaient à s’émousser. Ils utilisaient des outils diamantés pour attaquer un matériau presque aussi dur que le diamant.

— Vous avez bientôt fini ? leur demanda Takahashi d’une voix affaiblie, comme s’il était sur le point de s’assoupir.

Parry posa son outil sur l’une des pastilles adhésives fixées à la croûte. Tous leurs efforts étaient vains. Le prochain centimètre serait encore plus dur. Il releva un rabat renforcé sur sa manche gauche et maladroitement, de ses doigts gantés, en tira une bobine de fibre optique dont il tendit l’extrémité munie d’une prise à Belinda Pagis. Elle hocha la tête et l’inséra dans la prise femelle compatible de sa propre combinaison.

— Nous ne le sortirons jamais à temps, hein ? lui dit-elle.

— Le seul truc qui peut traverser une croûte durcie à ce point, c’est un laser ou un chalumeau. Mais si nous endommageons son équipement avant d’avoir réussi à lui dégager les jambes, il mourra.

Affolée, Pagis balaya les alentours du regard.

— Il nous faut plus de temps !

— C’est trop tard.

— On pourrait peut-être dresser une sorte de tente pressurisée ? Si nous pouvions tendre un toit au-dessus de lui…

— Impossible de la rendre hermétique là où elle serait en contact avec la croûte.

— Alors servons-nous de la roche pulvérisée et montons une espèce d’igloo autour de lui ! On le scelle au sommet et on injecte de l’air !

— Nous sommes en apesanteur, Belinda. Et même avec de la gravité, ce serait délicat.

— Nous devons trouver un moyen !

— Je réfléchis, dit Parry.

Il perçut soudain un mouvement du coin de l’œil. Une valise médicale orange vif à la main, Ryan Axford se hâtait vers eux. Wolinsky et Herrick allèrent l’aider à rester debout sur la croûte. Le médecin avait subi l’entraînement de base au port de la combinaison, mais il lui manquait l’agilité résultant de milliers d’heures d’EVA. Lorsque Parry débrancha la fibre optique qui le reliait à Pagis et bascula sur le canal général, la respiration précipitée d’Axford fut ce qu’il entendit en premier.

Il avait l’air plus mal en point que Takahashi.

Axford s’agenouilla face à l’homme enseveli en s’arrimant grâce aux patchs d’adhéflex fixés à ses genoux. Il colla la valise au sol et en fit sauter les gros fermoirs. Elle contenait des instruments médicaux étincelants serrés les uns contre les autres et disposés comme les pièces d’un puzzle, et trois grands réservoirs de gaz sous pression. L’un d’eux, de couleur bleue, était orné d’un motif en forme d’ange.

Le sac à dos de Mike était toujours presque complètement enfoui, contrairement à celui qu’il portait sur la poitrine, beaucoup plus petit et toujours accessible. Axford écarta le rabat en plastique qui protégeait les tracés diagnostiques, s’abrita les yeux sous sa main en visière et étudia les histogrammes tremblotants et autres courbes de pulsations. Ensuite, avec une habileté surprenante, il pianota quelques commandes sur le petit clavier jouxtant l’écran et survola les options disponibles.

Quelques instants plus tard, il leva les yeux et croisa le regard de Takahashi. Axford hocha la tête, comme pour lui dire qu’il ne pouvait pas faire de miracle, mais qu’il tenterait tout ce qui était en son pouvoir.

Axford se tourna ensuite vers Parry et lui tapota l’avant-bras. Parry brancha sa fibre optique sur la combinaison du médecin.

— Inutile qu’il entende ce que je vais vous dire, commença Axford. Ça se présente très mal. Il souffre déjà des premiers effets de l’épuisement dû à la chaleur. Cette combinaison, c’est comme un jour de canicule à Manille.

— Et ça va empirer, renchérit Parry.

Axford examina l’excavation qu’ils avaient laissée en plan.

— Vous n’arriverez pas à le sortir de là, n’est-ce pas ?

— Ça m’étonnerait.

— Alors je vais peut-être devoir l’euthanasier.

— Pardon ? dit Parry, qui pensait avoir mal entendu.

— Je peux le rendre inconscient très vite si je modifie le mélange de gaz qu’il respire. Il souffre déjà.

— Autrement dit, vous voulez le tuer, c’est ça ? s’exclama Parry en s’efforçant de contenir l’hystérie qui le menaçait.

— Pas du tout. Je veux interrompre l’activité de son système nerveux central. On peut le faire vite et proprement. Ensuite, on perce la combinaison et on la remplit d’hydrogène sulfureux, reprit Axford en tapotant le réservoir bleu. Le corps va se refroidir rapidement, et là, on le dégage aussi vite que possible. Dès qu’il sera à bord, je lui injecterai une solution saline pour chasser de son sang l’oxygène résiduel.

— Et ensuite, vous le ressusciterez ?

— Non. Ça, j’en suis incapable. Il va devoir attendre notre retour sur Terre.

— Mon Dieu, Ryan… C’est ce que vous avez de mieux à nous proposer ?

— S’il grille dans cette combinaison et nous fait un arrêt cardiaque, un accident ischémique détruira des structures vitales de son cerveau en quatre à six minutes. Je lui offre une petite chance de survie.

— Vous parlez d’une chance…

— C’est une procédure à haut risque, réservée à ce type de situation.

— Et vous savez comment procéder ?

— J’ai toutes les instructions nécessaires. C’est l’opération Ange de Glace.

— Combien de fois l’avez-vous pratiquée ? lui demanda Parry après quelques instants d’un silence épouvanté.

— Ce sera une première.

— Vous… vous envisagez sérieusement de vous faire la main sur Mike ?

— Ne prenez pas cet air horrifié, Boyce. J’essaie de lui sauver la vie.

C’était la première fois qu’il entendait Axford se fâcher. Soudain mal à l’aise, Parry comprit qu’il venait d’empiéter sur les plates-bandes du médecin ; comment réagirait-il, lui, si Axford prétendait lui apprendre comment creuser une belle fosse pour catapulte ?

— Je suis désolé. C’est tellement…

— Glaçant ? Oui, on peut dire ça.

À sa grande surprise, Parry dut lui aussi se forcer à reprendre une respiration mesurée pour ne pas fausser les réglages de sa propre combinaison.

— Dans combien de temps devrez-vous effectuer cette procédure ?

— Le plus tôt sera le mieux. Je veux prendre mon temps pour l’endormir… Pas question de l’exposer à l’hydrogène sulfureux pendant qu’il est encore conscient. Mais il y a encore une chose, et c’est la partie la plus difficile…

— Je vous écoute.

— Nous avons besoin de son consentement.

Parry ferma les yeux ; mais qu’est-ce qu’il faisait ici, bon sang ?

— Si c’est le seul moyen pour qu’il s’en sorte, je vous fournirai ce consentement.

— Il ne me faut pas votre consentement, mais celui de Mike. Il doit savoir dans quoi il s’engage.

Axford sortit de sa valise une carte en plastique rigide de la taille d’un menu, qu’il ouvrit et tendit à Parry. La carte était imprimée en caractères gras, avec des schémas médicaux simplifiés aux couleurs vives. On aurait dit les fiches qu’on trouvait dans les avions pour apprendre comment utiliser les toboggans. Ces graphiques avaient le même air anodin, le même fatalisme serein. Assez gros pour les gants des combinaisons spatiales, un feutre était relié à la carte par un fil de nylon.

— Oh non, gémit Parry.

— Oh si… C’est la seule façon pour lui d’obtenir son billet de retour.

— Et une fois sur Terre, que se passera-t-il ?

— Nous le confierons aux Chinois, ou nous le conserverons au froid jusqu’à ce que nous soyons capables de le ramener à la vie nous-mêmes.

Parry se tut pendant quelques instants.

— Nous n’avons pas le choix, alors ? reprit-il enfin d’un ton accablé.

Axford secoua la tête, et Parry débrancha son câble optique.

— Mike… Tu m’entends toujours, Mike ?

— Oui, je suis là, dit faiblement Takahashi. C’est Ryan, avec toi ?

— Oui, Ryan est ici.

Mais n’espère rien de mieux, se dit Parry.

— Mike, je dois t’expliquer quelque chose. D’après Ryan, il serait trop dangereux de te dégager avec des chalumeaux. Cela ne me plaît pas, mais je crois qu’il a raison. Nous sommes très doués, mais nous risquons quand même de toucher ton équipement de survie ou de trouer ta combinaison. Si tu es d’accord, nous allons tenter autre chose.

Mike parut soupçonner quelque chose.

— Et si je ne suis pas d’accord ?

— Dans ce cas, nous ferons de notre mieux avec les chalumeaux.

— C’est quoi, l’autre plan ?

— L’autre plan, c’est…

Le formulaire plastifié tremblait dans les mains de Parry.

— Allez, vas-y, Parry. Explique-moi.

— Il a été prévu une… une procédure d’urgence. Ryan va te mettre sous… il va t’anesthésier.

— Il faut le mettre au courant de tout, intervint fermement Axford. Il doit savoir qu’il ne s’agit pas seulement d’une anesthésie générale.

Parry tendit le formulaire médical devant la visière de Takahashi et lui montra du doigt le dessin d’un homme dont le crâne en coupe transversale révélait les volutes du cerveau et du tronc cérébral. La légende correspondante signalait l’absence d’activité du système nerveux central.

— Ryan va se servir des commandes de ta combinaison pour t’euthanasier. Ce sera indolore… comme si tu t’endormais.

— Pas question… ânonna Mike.

— Écoute, si on fait ça, c’est pour une bonne raison. Quand tu seras… inconscient… Ryan pourra te conserver en bon état, et tu resteras ainsi jusqu’à notre retour sur Terre.

— Je serai mort, dit mollement Mike.

— Vous serez en état de stase, lui affirma Axford en tirant de la valise la bombonne d’Ange de Glace. La seule chose qui compte, c’est qu’il vous restera une chance de vous rétablir un jour.

— Vous plaisantez ?

— Une chance plus grande que si nous tentons de vous désincarcérer, ça, j’en suis absolument sûr.

— Il a raison, insista Parry. Nous n’avons pas le choix, Mike.

— Vous pouvez sûrement essayer autre chose avant de choisir cette option… souffla Takahashi, désespéré.

— Malheureusement pas, et bientôt il sera trop tard ! Tu le sais, Mike. Si j’étais à ta place, tu crois vraiment que tu pourrais me sortir de là en creusant ?

— J’essaierais, en tout cas.

— Et moi, je ne te laisserais pas faire.

Il colla sa visière contre celle de Takahashi. Visiblement, il faisait une chaleur tropicale, là-dedans.

— Ryan a besoin de ton consentement, Mike. Tu dois lire ce truc et le signer.

— Je refuse.

Parry fourra le feutre dans le gant de Takahashi et serra les doigts de ce dernier pour lui assurer une prise.

— Signe ce foutu truc, Mike !

— Je ne peux pas, gémit celui-ci en lâchant le feutre.

Parry l’attrapa et fit une nouvelle tentative :

— Signe-le, nom de Dieu ! Signe-le et vis !

— Je ne peux pas…

Des voyants rouges clignotaient sur tout son sac de poitrine, désormais. La combinaison commençait à lâcher, elle renonçait à assurer sa fonction de protection. Parry referma sa main gantée sur celle de son collègue et guida la pointe du stylo vers la case du consentement. Ils n’avaient besoin que d’une marque… d’une esquisse de signature.

— Mike, fais-le pour moi ! Fais-le pour tous tes amis !

Un autre voyant rouge s’alluma. Tout d’un coup, tous les voyants s’allumèrent en même temps, puis s’éteignirent. Dans la combinaison, un circuit vital venait de tomber en panne. Parry poussa le feutre vers le formulaire. Quand il commença à former un M, il crut sentir – du moins il l’espérait – la main de Takahashi bouger de son propre gré. La pointe du stylo glissa sur la fameuse case, y traçant un gribouillis qui pouvait presque passer pour la signature de Mike.

Presque.

Parry laissa la main de Mike lâcher le marqueur et se retourna vers Axford.

— Allez-y, Ryan !

Axford écarta Parry et se mit à pianoter des instructions sur le clavier de poitrine de l’homme quasi inconscient. Les voyants se remirent à clignoter, mais plus faiblement, à présent. Le médecin entrait d’autres commandes lorsque Takahashi parut prendre conscience à nouveau du sort qui l’attendait. De toutes ses forces, il repoussa Axford, qui tomba sur ses fesses.

— Aidez-moi ! lança ce dernier à Parry. Tenez-lui les bras !

Parry regarda son ami et vit derrière la visière couverte de buée la terreur viscérale que Takahashi ressentait.

— Je crois qu’il regrette d’avoir accepté… commença Parry.

— Je m’en fous, de ses regrets, répliqua Axford. Il a signé son consentement, c’est tout ce qui compte.

 

Janus
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